« La plus grande fuite des cerveaux : la non-orientation des filles dans la science »

Yvonne Pourrat est ingénieur agronome et docteur en physiologie végétale. Chercheuse au CNRS et à l’université Paris XI, elle se spécialise dans la physiologie des plantes de zones arides pendant 25 ans. Experte à la Commission européenne, elle est aujourd’hui chargée de mission à la Commission Recherche Etudes et prospective de la Conférence des écoles françaises d’ingénieurs (CDEFI) où elle pilote plusieurs projets d’études sur les femmes ingénieurs, la science et la technologie. La chercheuse a répondu aux questions d’Orientations pour le Club Campus des Femmes de l’Economie. Elle évoque l’actuelle place des femmes dans les recherches en sciences dures.

Vous avez effectué de nombreuses recherches sur la place des femmes dans la recherche en sciences dures. Comment expliquez-vous que ce domaine soit très majoritairement représenté par des hommes ?

YP : Pour que les femmes soient chercheuses dans ces domaines, il faudrait déjà qu’elles effectuent des formations scientifiques. La question est surtout : pourquoi les filles ne s’orientent pas vers ces formations ? Le problème vient de tous les stéréotypes sociaux, de l’éducation. A l’école, les parents comme les professeurs attendent moins d’une fille que d’un garçon dans des matières comme la physique ou les mathématiques. C’est inconscient mais réel. Nous vivons dans une société très peu imprégnée des préoccupations scientifiques et nous ne donnons pas aux filles le goût des sciences. Un garçon peut s’identifier à Bill Gates alors qu’une femme a très peu de modèles auxquels s’identifier.

Qu’est-ce qui pourrait faire changer la donne ?

YP : Il faut tout d’abord améliorer l’image de la technologie dans la société. Les machines et la technologie sont considérées comme liées à la masculinité. Si vous tapez « femme ingénieur » sur Google, vous verrez des photos de filles portant un casque de chantier. Mais ingénieur, ce n’est pas seulement être sur un chantier. En Angleterre, ils font des concours à la télévision, des scénarios où les héros sont des femmes scientifiques. En France, ces femmes sont très peu présentes dans les médias.

Nous devons aussi expliquer aux jeunes femmes les métiers de la science. Les jeunes lycéennes ne savent pas. Il faut mieux les informer en étant plus transparent, en organisant des portes ouvertes, des visites de laboratoires,…

Il faut également améliorer la situation des jeunes filles dans l’enseignement supérieur en sciences. Elles ont parfois peur d’être isolées car elles sont minoritaires. Les professeurs doivent être sensibilisés pour mieux communiquer avec elles.

Mais comment faire évoluer les mentalités ?

YP : Pour changer les mentalités, il faut que les jeunes couples qui se marient et qui vont avoir un enfant privilégient une éducation qui ouvre toutes les perspectives professionnelles. C’est très difficile. Les médias aussi pourraient faire beaucoup de choses en ce sens.

C’est également le rôle des pouvoirs publics, tout le monde doit s’y mettre. Maintenant, les maîtres d’écoles primaires reçoivent tous une formation sur le genre pour l’égalité (NDLR : un « plan d’action pour l’égalité entre filles et garçons » a été divulgué mardi 25 novembre par le ministère de l’Education nationale). Il faut lutter contre les stéréotypes, ne pas mettre les jeunes dans des cases prédéfinies.

Les entreprises mondiales de jouets doivent également réfléchir à d’autres modèles. Comment faire pour que les jouets ne soient pas sexués et pour qu’il y ait des jeux de mécano ou des petites voitures pour les filles ?

Qu’est-ce que les femmes apporteraient à la Recherche en sciences dures ?

YP : Des cerveaux. Tout le monde se plaint de la fuite des cerveaux. La plus grande fuite des cerveaux c’est la non-orientation des filles dans la science. Si l’on veut un progrès dans l’innovation, il faut que l’on fasse appel à toutes les forces de la nation. Il ne faut pas que 50% des cerveaux n’y participent pas. On se prive de talents et c’est mauvais pour notre société.

Les règles du jeu ne sont-elles pas trop « masculines » dans ce domaine ? Doit-on les faire évoluer ?

YP : Elles sont masculines. Les hommes ont toujours tendance à donner aux femmes des charges transversales. Par exemple : s’occuper des relations internationales du laboratoire. Les hommes refusent ce type de fonctions pour se consacrer à la recherche. Et les femmes qui ont tendance à être plus gentilles, l’acceptent plus facilement et ont moins de temps à consacrer à la recherche.

De même à l’arrivée d’un bébé. Pour une femme, cela signifie six mois d’arrêt de recherche alors que pour un homme, c’est un non-événement professionnel. Ce sont toutes ces règles qui doivent maintenant évoluer.

Propos recueillis par Wally Bordas

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